« Immortality » : analyse complète et explications du film interactif !

"Immortality" : analyse complète et explications du film interactif !

Le mois de janvier nous a poussés à redécouvrir le jeu grâce à sa disponibilité sur PS5. Immortality est un film interactif truffé de mystères. Voici donc une interprétation complète et les explications pour comprendre l’œuvre.

Indubitable OVNI vidéoludique, Immortality laisse perplexe. Certains crieront au génie, d’autres à la trahison, mais le nouveau jeu vidéo de Sam Barlow est une surprise qui laisse de très nombreuses questions en suspens. Le joueur incarne un monteur chargé de découvrir le sort de son actrice principale à travers une centaine de clips.

Immortality pousse à voir au-delà des apparences et se délecte d’une version beaucoup plus horrifique cachée à travers les rushes. Pour comprendre le destin de Marissa Marcel, il faudra être très curieux et comprendre cette inquiétante recherche de l’immortalité qui se cache. Au-delà de la conception cinématographique et des vices d’un milieu qui se renouvelle, se révèle une histoire plus complexe.

Manon Gage interprète Marissa Marcel

Tout d’abord, pour élucider l’énigme, revenons sur la thématique principale du titre. L’immortalité décrite dans le jeu de Sam Barlow se représente ainsi avec plusieurs connotations :

  • La première est celle de l’art qui ne peut mourir, devenant alors un art de revivre, un objet de résurrection. On dit de l’art qu’il offre une trace de notre existence lorsqu’il perdure à travers les âges.
  • La seconde est d’ordre transmissible et littéraire, c’est la découverte de ces histoires qui se transmettront aux générations futures capables de les façonner. Platon parlait de transmettre des histoires pour l’éducation et la modélisation des êtres humains à travers elles. Guider les gens à devenir de bonnes âmes avec l’implication que ces récits vivront dans un avenir lointain à travers le programme d’un état idéal.
  • La troisième est d’ordre mystique par l’intermédiaire de la permutation d’un hôte à l’autre. Il s’agit d’une figure plus fantastique et plus présente dans la fiction.

L’Humanité et l’Art

Les trois personnages principaux démontrent parfaitement chaque facette de l’immortalité : Marissa Marcel, l’Autre et le joueur lui-même. Expliquons alors l’intrigue complète du jeu.

  1. Marissa agonise lors de la Seconde Guerre mondiale. La jeune femme française est gravement blessée (et probablement violée) par des soldats ennemis. La vie arriverait à son terme si l’Une ne l’avait pas sélectionnée. Marissa est désormais l’hôte de l’entité surnaturelle qui tentera alors de façonner son amour de l’humanité et de l’art à sa manière. Elle est désormais la jeune femme. Dans les années 60, le corps de Marissa commence une carrière d’actrice grâce à une pub de savon. Sa carrière est en décollage selon les images présentes dans le jeu.
  2. L’Autre est, comme son nom l’indique, une autre entité. Comme la mystérieuse femme, il a vécu des millions d’années et tenta de façonner l’Homme par des mythes et le savoir à transmettre, mais il échoua. Difficile de ne pas le comparer à une interprétation presque religieuse d’une figure christique. Depuis, il n’a que dégoût pour les humains dont il ne voit que le vice et la débauche. On pourrait presque lui donner raison, tant le milieu cinématographique regorge de pouvoir, d’argent et de sexe.
  3. Vient la figure du monteur, mais aussi du joueur destiné à faire vivre l’Art pour qu’il ne disparaisse pas, pour qu’il trouve un nouvel hôte à la fin.

Le troisième cas est finalement le plus important. Enchaîner les rushes, tous plus énigmatiques les uns que les autres, permet de libérer une forme d’art qui ne demande qu’à se révéler. Comme l’aurait décrit le philosophe Roland Barthes, il doit démêler ce qui s’y passe, mais ne doit pas le déchiffrer. Car Immortality ne délivre pas ses réponses facilement. Il est même presque au premier abord dénué de tout scénario. Pourtant, l’histoire est bien écrite et pertinente par le joueur.

Il est vrai que l’on aurait beaucoup apprécié pouvoir monter librement les 3 films du jeu à partir des rushes, afin de parfaitement montrer cette envie d’écrire un récit narratif. On ne peut qu’enchainer les images et trouver nous-mêmes un lien, sans s’initier à la profession en elle-même.

Finalement, le réalisateur n’était-il qu’un immonde pervers qui se fiche de la conception de son film ?

La vérité par le montage !

Car Immortality traite de nombreux thèmes : la liberté sexuelle, le sexisme, l’emprise sexuelle, les relations toxiques, le milieu du cinéma, la construction d’un projet, le déclin des artistes, la religion. Toutefois, tout n’est finalement composé que d’objets d’interprétation filmiques qui conçoivent notre perception du jeu de Sam Barlow.

La vérité se trouve dans des images subliminales, des détails étranges et des rembobinages fréquents. Revenir en arrière permet de déclencher un tout autre point de vue, bien plus sombre et pessimiste sur la mortalité et l’humanité. C’est dans ce genre de situations que l’Autre tente de s’immiscer dans l’objectif du joueur. Car ce qui est arrivé à la protagoniste ne peut se voir que lorsqu’on a pleinement conscience d’un côté surnaturel au travers de ses actions.

Plan du film Minsky. A ce moment précis, rembobiner le clip image par image montre quelque chose de terrifiant… De notre côté, c’est la première fois qu’on a pleinement compris l’enjeu d’Immortality.

En quelque sorte, le joueur doit déchiffrer l’indéchiffrable, accepter la mort de l’auteur comme écrirait Roland Barthes afin d’arpenter le chemin mystique de l’immortalité. Voici ce que le philosophe écrivait dans son essai sur lequel nous reviendrons juste après. Intéressons-nous d’abord à ses propos. Le lien avec les clips d’Immortality est facilement reconnaissable.

Nous savons maintenant qu’un texte n’est pas fait d’une ligne de mots, dégageant un sens unique, en quelque sorte théologique… Mais un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n’est originelle : le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. Pareil à Bouvard et Pécuchet, ces éternels copistes, à la fois sublimes et comiques, et dont le profond ridicule désigne précisément la vérité de l’écriture, l’écrivain ne peut qu’imiter un geste toujours antérieur, jamais originel ; son seul pouvoir est de mêler les écritures, de les contrarier les unes par les autres, de façon à ne jamais prendre appui sur l’une d’elles ; voudrait-il s’exprimer, du moins devrait-il savoir que la « chose » intérieure qu’il a la prétention de « traduire », n’est elle-même qu’un dictionnaire tout composé, dont les mots ne peuvent s’expliquer qu’à travers d’autres mots, et ceci indéfiniment…

Dans ce cas présent, il n’est pas question de littérature, mais de montage. Il permet d’assembler des images. C’est une étape de post-production très importante. Si on exclut le côté business et industrie marketing du cinéma, il s’agit d’un authentique travail d’artiste. Chaque moment sera minutieusement étudié pour correspondre aux dires de l’auteur. Il conçoit sa vision et le sujet du film. Le montage est une autre construction d’un récit.

Tout le gameplay repose sur cette table de montage. On clique sur une séquence et on interagit avec un objet pour trouver une nouvelle séquence. Facile, non ? En vrai, voyons ceci comme les écrits de Roland Barthes, des citations et des exemples au travers d’un « dictionnaire ».

Commencer Immortality revient à s’interroger sur les sujets hors champ du projet. Qu’est-il arrivé à Marissa Marcel ? A-t-elle été tuée par un membre de l’équipe de tournage ? Rester sur le fil narratif ne consoliderait que la déception, d’autant que le gameplay se limite à une recherche d’objets. Des lampes, des verres, des femmes, des livres, des serpents, des croix. Chaque objet trouvé fait le lien avec une nouvelle scène qui se débloque. Le puzzle de l’enquête se compose, mais laissera le joueur amer. Il doit alors déchiffrer et accepter de tout voir d’une autre façon. C’est en interagissant avec les images que le côté fantasmagorique se met en place. C’est en jouant avec les rushes que l’on démêle l’écriture.

Les tourments d’une actrice prometteuse

Dans sa première lecture, Immortality traite ainsi de son actrice. Marissa Marcel. Elle est choisie par le réalisateur multiprimé Arthur Fischer (une caricature d’Alfred Hitchcock) pour incarner l’héroïne d’Ambrosio, son ultime film. Fresque en costumes située dans un monastère madrilène et basée sur le roman gothique Le Moine de Matthew Gregory Lewis, il s’agit de la première participation professionnelle de Marissa.

Matilda et Ambrosio. Une histoire de tentation et d’abus sexuels…

La diffusion des rushes entraîne alors une désillusion totale. Fischer se révéla surtout intéressé par l’exercice d’un contrôle sur la jeune femme pour en faire un objet sexuel. De nombreuses scènes de sexe révèlent un côté humiliant de la part du réalisateur. John Durick, le directeur de la photographie, entre régulièrement en conflit avec le réalisateur et souhaite lui aussi dénuder la jeune femme à plusieurs reprises. Pire encore, il tombe amoureux de Marissa. Ils couchent ensemble dans une scène filmée hors tournage. Ils décident d’emménager ensemble à New York. Déçu de ne pas s’être appropriée la jeune femme et de la tournure qu’a pris le tournage en général, Arthur Fischer a volé les négatifs afin d’annuler toute sortie en salles. C’est la fin d’Ambrosio. Il tentera de mettre fin à la dispute avec John, alors que ce dernier est sur le point de réaliser Two Of Everything.

Sur le tournage de Minsky.

Plus tard, Marissa tourne un second projet en compagnie de John Durick. Elle est sa muse. Minsky est un film d’avant-garde proche du Nouvel Hollywood, prenant la forme d’un polar érotique. Un détective est chargé d’élucider le meurtre d’un peintre, dont la muse est aussi la principale suspecte. L’un des acteurs, Carl Greenwood, sera abattu accidentellement sur le tournage, causant l’annulation du long-métrage ambitieux.

1999. John Durick fait à nouveau appel à Marissa pour un dernier projet. Fait incroyable : elle n’a pas pris une ride. Le thriller met en scène l’histoire d’une doublure cherchant à venger la vedette qu’elle incarnait et victime d’un milliardaire proxénète. Two of Everything semble faire du mal à son actrice principale et le film ne sortira jamais. Elle subit des saignements de nez et semble tomber gravement malade. Marissa Marcel est donc morte. Voici ce que les rushes tendraient à nous faire croire…

Ce que le cinéma ne montre pas ! (La vérité sur Immortality)

Dans une tout autre interprétation, Immortality traite d’étrangers. Deux personnes mystérieuses et parasitaires que l’on pourrait comparer à Adam et Eve. Ils font basculer petit à petit le jeu dans l’horreur. Ils existent depuis fort longtemps, ont changé de corps à plusieurs reprises et regardent le monde en perpétuelle évolution.

Celle qui possède Marissa est fascinée par le sexe et la violence. De ce fait, les humains la passionnent. L’Art devient une de ses raisons de « vivre » et elle trouve le média cinématographique impressionnant. Elle entre alors en conflit avec l’Autre, qui s’éloigne de l’humanité, désemparé de ce qu’ils sont réellement, mais qui fait tout pour la rejoindre. Ils s’aiment autant qu’ils se détestent. Ils se tirent dessus et font l’amour par exemple. L’Autre est responsable de la mort de Carl Greenwood, mais aussi de la possible disparition d’un acteur ayant abusé sexuellement de l’immortelle dans Ambrosio. Mentionnons que, sur ce tournage, elle apprécie le côté artistique de John Durick au détriment d’Arthur Fisher. Mais l’Autre essaie de la convaincre qu’il n’est qu’un narcissique.

L’Une en représentation de Marylin Monroe. L’Autre chantant à son tour…

Le jeu conte que des êtres surnaturels comme l’Une et l’Autre ne peuvent être tués que par le feu, et ils se sont « entretués » à plusieurs reprises. Après avoir éloigné l’Autre, la fausse Marissa révèle sa troublante nature à John Durick et lui prouve son amour sincère. La réaction du réalisateur confirme les propos de l’Autre à son égard, rappelant que les humains sont mauvais. Elle tue le réalisateur et prend sa place.

Par conséquent, elle réalise alors le troisième long-métrage qui symbolise son existence. La doublure et l’artiste. Elle décide de ramener Marissa et tend à s’emparer d’elle à nouveau, après avoir récupéré les images d’Ambrosio. Cependant, prendre John et Marissa entraîne des dégâts cérébraux considérables. John disparaît et Marissa s’effondre. C’est l’Une qui est en réalité mourante !

La fatalité de Marissa Marcel…

Réunis à la fin, l’Autre l’aide à trouver un nouvel hôte après avoir brûlé vive Marissa, mais aussi l’Une, plongée toutes les deux dans un état végétatif. Autre analyse possible : elle se nourrit du côté artistique de la jeune femme et, la sentant dans le déclin, décide de la renier.

Les trois films deviennent alors des récits de vies contées par ces individus mystérieux et narrent tout ce à quoi ils sont confrontés entre le sexe et le sang. Par sa progression, le joueur devient alors le nouvel hôte. Après tout, le jeu vidéo est aussi un art qui se transmet en grand nombre.

Un projet très philosophique

Comme écrit plus haut, il ne semble faire aucun doute que Sam Barlow reprend la thématique de la Mort de l’Auteur de Roland Barthes tout au long du cheminement d’Immortality.

Cet essai publié pour la première fois en 1968 pose une réflexion fondamentale sur la nature de toute œuvre d’art littéraire. Qui ou qu’est-ce qui se cache derrière ? La plupart des lecteurs répondraient « l’auteur » ou « l’écrivain », voire « le narrateur ». Mais Barthes interroge une question sans réponse. Un problème qui ne doit pas être résolu. Un écrit ne contient aucune preuve d’une quelconque fiabilité d’un auteur. Nous ignorons ce qui se cache derrière et quelle émotion ou volonté émane véritablement d’une œuvre. Le parallèle avec Immortality est intéressant, d’autant que son histoire non linéaire est chargée de mystère et, qu’au premier abord, il est difficile de pleinement comprendre les intentions de son auteur.

« Nous savons maintenant qu’un texte n’est pas fait d’une ligne de mots, dégageant un sens unique, en quelque sorte théologique (qui serait le « message » de l’Auteur ­Dieu), mais un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n’est originelle : le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. »

Cet espace dans le jeu se représente par la table de montage. La mort de l’auteur, selon les dires du philosophe, c’est ce renversement de l’unité de création de l’auteur vers le lecteur (ici de l’Une vers le joueur), si on transpose, ce qui est tout à fait possible, aux arts visuels. L’immortalité repose donc sur la libération de l’Art et la possibilité de vivre de son œuvre. Le joueur crée l’histoire d’Immortality par la vérité, et cette vérité finira alors par le tuer… C’est son châtiment d’avoir résolu l’indescriptible…

Immortality est un jeu vidéo FMV unique en son genre. Véritable hommage au cinéma, il plonge son joueur dans la transgression des apparences et l’expérimentation de l’Art. On pourrait relier le jeu à cette citation de Nietzche qui conclue parfaitement : « L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité ».

Bande-annonce Immortality

Photographe et réalisateur indépendant. Certains de ses films ont obtenus une soixantaine de sélections en Festival à travers le monde. Rédacteur chez Cultea, ses écrits sur le Traumatisme abordé dans le jeu vidéo sont publiés sur le site !

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