Commençons ces premières lignes en entrant directement dans le vif du sujet à propos de ce film. EO (Hi-han) touche en plein cœur avec une grande sensibilité. Cette fable moderne autour d’un âne et sa découverte de l’humanité devient incontestablement l’un des meilleurs films de cette année.
Synopsis : Le monde est un lieu mystérieux, surtout vu à travers les yeux d’un animal. Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des gens bien et d’autres mauvais et fait l’expérience de la joie et de la peine, mais jamais, à aucun instant, il ne perd son innocence.
Récompensé par le prix du jury du Festival de Cannes 2022, EO, de Jerzy Skolimowski, est une expérience de cinéma qui se doit d’être découverte, tant elle nous met dans tous nos états. Prônant l’empathie au travers de la misanthropie, ce road-movie que l’on pourrait définir comme l’Odyssée d’un âne vers son Ithaque est un choc que l’on ne pouvait prévoir.
Après tout, il n’est pas monnaie courante de faire un film avec un âne comme protagoniste principal. En faisant d’Eo son protagoniste, mais aussi son droit de regard vers le monde, le cinéma montre ce qu’il a eu de plus expressif et attachant depuis des années. S’il a déjà été prouvé que l’âne est un modèle de bouleversement et d’innocence comme dans le sympathique Antoinette dans les Cévennes ou Au Hasard Balthazar de Robert Bresson (dont Skolimowski s’inspire énormément), Eo fait atteindre cette exactitude à son paroxysme. Aucun film depuis White God (mettant en scène une révolte canine), film hongrois de Kornél Mundruczó, ne nous avait autant secoué sur la relation entre l’humain et l’animal.
L’innocence face au monde
A travers sa séquence d’introduction marquée d’un rouge éclatant dévoilant un cirque, EO révèle dès le début que le voyage qui va suivre ne sera pas de tout repos. Un monde d’hommes, de bienveillance et de malveillance, se dévoile à travers les yeux d’un animal soumis à l’appropriation humaine. Un monde de servitude, de maltraitance et d’amour. S’en suivent alors les premiers déboires de l’être humain…
Si Au hasard Balthazar de Bresson utilisait le point de vue de l’âne comme prétexte pour étudier la condition humaine, Skolimowski semble transformer EO en un profond plaidoyer sur l’animal. Cette fable somptueuse et envoûtante se diffuse au gré d’une mise en scène originale et soignée. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas été aussi amadoués.
EO étonne par ses diverses expérimentations à l’image. Entre les trouvailles au fond rouge contrasté laissant penser à du Godard pour simuler et prévenir le danger, les cadres de paysages aussi beaux et libres qu’une œuvre de Malick et les gros plans intensifiant une émotion sincère, frappant directement le spectateur jusqu’à son âme, le film parvient toujours à frôler l’admiration la plus totale ! EO fait ce que peu de film réussisse à aboutir : éveiller nos sens, notre ressenti et notre émotion. Cela faisait bien longtemps que de tels cadrages n’avaient autant dévoilé une vraie liberté. Nous sommes des êtres sensibles et le film nous le rappelle constamment en nous confrontant au regard de l’âne, découvrant cette (des)humanité si banale qu’on l’aurait presque oubliée.
La beauté de l’âne
Le monde dans EO paraît si vaste, si beau, mais si dangereux pour ce petit âne si fragile (nous avons craqué dessus !). Il ne paraît jamais le bienvenu nulle part, et un sentiment d’insécurité plane toujours autour de lui. C’est ainsi que le film nous livre une sublime errance poétique. Mentionnons également cette relation entre Eo et Cassandra, agissant comme une maman pour lui, comme figure de confiance, seul lien d’humanité qui le pousse au voyage périlleux. Relation si courte, mais si porteuse d’espoir. Si rassurante derrière l’horreur du monde moderne. Finalement, ce que semble chercher Eo se trouve dans le réconfort et dans l’amour. Cherche-t-il sa place dans le monde ? Ou n’est-il qu’un simple spectateur, sans jugement, dans l’incompréhension face aux dérives humaines ?
Un seul aspect pourrait rebuter. Ce serait finalement son scénario. Une fois de plus, le film ne souhaite pas s’approprier un schéma classique et préfère raconter différentes scènes qui se succèdent les unes aux autres, accompagnant ses images de nature et de dangers, tel un procédé de chapitrage, sans forcément expliquer la raison. Ce procédé fait passer les interprètes chacun leur tour. Les humains ne sont que des seconds rôles, des gens de passage dans une vie, incapables de vivre en harmonie. Seul compte Eo et son regard sur notre monde. Notons la présence d’Isabelle Huppert dans une scène pour le moins étrange, mais qui aura le bonheur par sa présence de faire parler du film. EO le mérite grandement.
La réalisation et cet aspect si malicieux du road-movie conviennent parfaitement à l’aventure de ce petit âne. Toute la poésie et la subtilité de l’innocence se seraient probablement perdues dans une réalisation plus habituelle. Car c’est aussi ce qu’il y a de plus beau dans EO : espérer revoir le monde avec l’innocence.
Merci EO !
Nous espérons tout de même sincèrement qu’aucun animal n’a été blessé durant le tournage (même si ceci est marqué au générique de fin, les conditions de tournage peuvent être difficiles pour un animal), mais nous attribuons toutes nos félicitations aux ânes incarnant Eo :
Il s’appelle Tako. Dès que je l’ai vu, j’ai su qu’il serait la star de mon film. Un second casting a été réalisé ensuite afin de lui trouver les meilleures doublures possibles. Nous avons employé 6 ânes au total : Tako, Hola, Marietta, Ettore, Rocco et Mela. (Jerzy Skolimowski)
Terminons ces lignes en ajoutant qu’EO a désormais la lourde responsabilité de représenter la Pologne aux Oscars 2023. Espérons qu’il fera partie des nominations.
Virtuose, éblouissant, immense sont autant de mots pour décrire cette somptueuse expérience. Véritable déclaration d’amour à l’animal et la nature, EO est un vrai moment de cinéma. Jerzy Skolimowski signe ici son meilleur film, mais peut-être aussi tout simplement l’une des meilleures œuvres cinématographiques de l’année 2022. Oui, un âne vaut toute l’humanité…
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