Bob Dylan n’est pas un artiste comme les autres : il est une énigme vivante, une figure insaisissable qui, depuis les années 60, défie les catégories. Chanteur, poète, compositeur, prix Nobel de littérature, il a influencé des générations entières, non seulement par sa musique, mais par son attitude même : celle d’un homme libre, constamment en mouvement.
Le cinéma s’est emparé de Dylan à plusieurs reprises — documentaire, fiction, portrait éclaté (dont la dernière itération, le biopic Un parfait inconnu de James Mangold, est sortie dernièrement au cinéma) et chacun de ces films permet de saisir une facette de l’artiste. De Dont Look Back à Inside Llewyn Davis, voici une traversée de cinq œuvres pour découvrir, comprendre ou redécouvrir Bob Dylan à travers le prisme du cinéma.
Dont Look Back (1967) – Face à la célébrité
Réalisé par D. A. Pennebaker, Dont Look Back est un documentaire fondateur. Tourné en 1965 lors de la tournée britannique de Dylan, le film suit le chanteur de ville en ville, captant conférences de presse, loges, coulisses et concerts.
Ce film est un instantané brut du jeune Dylan, déjà star mais encore rattaché à la scène folk contestataire. Pennebaker utilise le style cinéma-vérité, sans voix off ni commentaire, ce qui rend le portrait d’autant plus percutant. Dylan y apparaît ironique, provocateur, parfois arrogant, en lutte constante avec les médias.
C’est aussi dans ce film que l’on voit, en ouverture, le célèbre clip du morceau Subterranean Homesick Blues, où Dylan fait défiler des pancartes avec les paroles — un des premiers clips de l’histoire du rock. Dont Look Back est indispensable pour comprendre la relation trouble de Dylan avec sa propre image et le début de sa stratégie d’évitement médiatique.

Renaldo and Clara (1978) – Réalisateur et brouilleur de pistes
Peu vu, souvent décrié, Renaldo and Clara est sans doute le film le plus étrange de la liste. Réalisé par le chanteur lui-même, ce long-métrage de quatre heures mêle concerts, fiction, scènes improvisées et performances symboliques, dans une sorte de labyrinthe cinématographique.
Tourné durant la tournée Rolling Thunder Revue en 1975, le film voit Dylan jouer le rôle de Renaldo… Mais rien n’est aussi simple. Renaldo and Clara est un autoportrait crypté, poétique et expérimental, inspiré à la fois du cinéma français de Godard et de l’improvisation jazz. C’est un film où Dylan se dédouble, se masque, se raconte en creux.
Même si le film est difficile d’accès et bougrement long (4h50), il permet d’approcher Dylan en tant qu’artiste total, refusant toute forme de linéarité ou d’explication. Il faut l’aborder comme un collage, une œuvre ouverte, qui reflète son refus d’être défini.

No Direction Home (2005) – L’homme derrière la légende
Réalisé par Martin Scorsese, No Direction Home est un documentaire fleuve (3h30) qui couvre les années 1961-1966, période cruciale où Dylan passe du statut de chanteur folk engagé à celui de rock star électrique, incompris et hué par une partie de son public.
Grâce à une riche iconographie, des archives rares et surtout une interview exclusive du chanteur lui-même, Scorsese tisse un portrait nuancé et passionnant. Ce film montre à quel point il a été au centre des bouleversements culturels et politiques des années 60, tout en restant farouchement indépendant, refusant de se laisser instrumentaliser.
C’est aussi un documentaire musical d’une grande qualité, qui retrace son évolution artistique, ses influences, ses ruptures. No Direction Home est sans doute le film le plus accessible pour découvrir Dylan (autre que le biopic avec Chalamet), car il donne des clés tout en conservant le mystère.

I’m Not There (2007) – Dylan sans Dylan, ou le pouvoir de la métaphore
Avec I’m Not There, Todd Haynes signe un film totalement original : six acteurs incarnent six « aspects » de Bob Dylan, dont Cate Blanchett, Christian Bale, Heath Ledger ou encore Richard Gere. Aucun ne porte son nom. Chacun incarne un fragment de l’icône : le poète folk, la star rock, l’artiste mystique, le rebelle politique, le reclus…
Ce film refuse la biographie classique pour proposer un portrait éclaté, symbolique, presque onirique, à l’image de Dylan lui-même. Les scènes s’entrelacent, changent d’époque et de style visuel, comme si Dylan était un kaléidoscope vivant. Le chanteur, sans être présent, est symbolisé, mystifié, mais pas reconstitué. Bob Dylan n’est pas un puzzle où les morceaux mis bout à bout forment un tout linéaire et logique. Il est, au contraire, une mosaïque humaine où chaque fragment seul est une œuvre en soi. C’est, par ailleurs, toute la complexité de l’âme et de la personnalité humaine : notre pléthore de corps et nos mutations émotives et évolutives.
I’m Not There montre que Dylan n’est pas un individu, mais un mythe en perpétuel changement. Il ne s’agit pas de comprendre, mais d’éprouver sa multiplicité. C’est le film qui dit le mieux que Dylan est un artiste de la métamorphose, insaisissable et toujours ailleurs.

Inside Llewyn Davis (2013) – L’arrivée d’une ère nouvelle
Réalisé par les frères Coen, Inside Llewyn Davis ne parle pas directement de Bob Dylan, mais il met en scène le monde qu’il est venu bouleverser.
Le film suit Llewyn Davis, un chanteur folk talentueux, mais sans succès, dans le New York du début des années 60. Il est enfermé dans une logique de répétition, d’échec, d’incompréhension. Et puis, il y a cette silhouette jeune, électrique, pleine d’assurance qui arrive sur scène et qui, il le sait, menace de prendre le pas.
Ce film est une sorte de prologue à la légende : il montre le bassin culturel dans lequel Dylan a surgi et comment sa voix allait bouleverser les codes. Inside Llewyn Davis, c’est tout un pan de la musique folk et de l’errance artistique qui est mis en avant. À travers le personnage de Llewyn, c’est la fin d’un monde que les Coen racontent — un monde où l’artiste sincère, mais figé, laisse place à une nouvelle ère de renouvellement, de risque, de rupture.

Dylan, l’art pur de l’âme
À travers ces cinq films, Bob Dylan apparaît sous des visages multiples : jeune prophète rebelle (Dont Look Back), mystique insaisissable (Renaldo and Clara), témoin de son époque (No Direction Home), figure mythologique (I’m Not There) et source de rupture historique (Inside Llewyn Davis).
Ce que ces films ont en commun ? Aucun ne parvient à « fixer » le chanteur. Tous témoignent de sa volonté d’échapper aux définitions, de brouiller les pistes, de se réinventer constamment. Le cinéma, avec ses moyens visuels et narratifs, est sans doute l’un des meilleurs moyens d’approcher ce mystère, sans le dissiper.
Regarder ces films, c’est entrer dans l’univers d’un artiste qui a toujours préféré poser des questions que donner des réponses — et c’est justement pour ça qu’il fascine encore. Une voix qui s’est toujours hissée au panthéon de la musique, mais aussi celui du cinéma, de la littérature ou de la poésie. Bob Dylan est et sera, à jamais, l’un des artistes les plus accomplis que cette Terre ait portée.
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