« Twin Peaks: Fire Walk with Me » de David Lynch : le film qui a enterré deux fois Laura Palmer

"Twin Peaks: Fire Walk with Me" de David Lynch : le film qui a enterré deux fois Laura Palmer

Chez David Lynch, les contes ont rarement une fin heureuse. Il dépeint des mondes étranges, à la frontière du réel, où des figures angéliques comme celle de Laura Palmer cachent une double identité bien plus sombre… Retour sur Twin Peaks: Fire Walk with Me. 

Synopsis : l’agent spécial Dale Cooper (Kyle MacLachlan) enquête sans succès sur la mystérieuse disparition de son collègue : l’agent Chester Desmond (Chris Isaak). Suite au meurtre d’une jeune serveuse de 17 ans nommée Teresa Banks (Pamela Gildey), celui-ci prévoit que le meurtrier de la jeune femme frappera encore. Une prédiction qui se réalisera, un an plus tard, dans la bourgade de Twin Peaks, quand une lycéenne du nom de Laura Palmer (Sheryl Lee), reine du bal de promo cocaïnomane, sera sauvagement assassinée…

Il était une fois, une trilogie oubliée

À l’origine de Fire Walk With Me, il y avait une série. Twin Peaks, un show télévisé de deux saisons créé par David Lynch et Mark Frost, diffusée dans les années 90 sur la chaine ABC. L’histoire d’une petite ville imaginaire des États-Unis, où sera découvert à l’aube de l’épisode pilote, le corps de la belle et innocente Laura Palmer. Un meurtre, qui deviendra la métaphore du mal qui gangrène la ville.

Mais Twin Peaks, c’est aussi l’histoire d’une frustration. La frustration de deux créateurs qui avaient imaginé une œuvre sur la durée, brisée par l’impatience d’une chaine de diffusion qui exigera la résolution du meurtre de Laura Palmer en milieu de saison 2. L’histoire d’un naufrage scénaristique qui débouchera sur l’annulation d’une des séries les plus prometteuses du petit écran. Une histoire que David Lynch tentera de réécrire en imaginant une trilogie préquelle à la série qui en explorerait sa mythologie.

Twin Peaks : Fire Walk With Me sera le premier de ces films. Un sombre et horrifique conte, qui réveillera Laura Palmer d’entre les morts. Le film, qui choquera le public comme la critique et sera un échec cuisant. La trilogie se retrouvera annulée et le chapitre Twin Peaks se fermera longtemps, avant de renaitre de ses cendres en 2017 avec Twin Peaks : The Return.

Twin Peaks, la série par David Lynch et Mark Frost

Voyage au bout de l’enfer

Du bruit numérique, puis un poste de télévision brisé à la hache… Voilà un plan d’ouverture lourd de sens, comme un message adressé au spectateur qui s’apprête à se plonger dans l’univers de Fire Walk With Me. Le film que vous vous apprêtez à regarder n’est pas la série que vous avez avidement suivie puis décriée. C’est une version altérée de celle-ci, un Twin Peaks dépourvu de clarté.

Avec ce préquel, David Lynch semble laisser sa frustration de ses années télévision exploser, aidé de son co-scénariste : Robert Engels. Si la série peinait à montrer le côté sombre de la petite ville et se reposait essentiellement sur son humour décalé et burlesque, le film lui, semble pousser les frontières de l’horrifique et de l’expérimental. Laura Palmer est une adolescente torturée, victime d’abus sexuels depuis ses 12 ans qui découvrira, au milieu du film, que l’auteur de ces violences n’est qu’autre que son père Leland Palmer (Ray Wise).

Un thème que la série ne faisait qu’évoquer en camouflant les actes de Leland derrière son alter ego démoniaque : Bob (Frank Silva). Un film qui brouille les pistes avec une première partie au ton décalé, proche de la série, qui prend soudainement, vers la trentième minute, un virage beaucoup plus terrifiant. Un moyen, peut-être, pour le réalisateur de souligner l’importance de son récit. Twin Peaks, c’est avant tout l’histoire de Laura Palmer, victime d’inceste. Une histoire qu’elle s’apprête à nous raconter.

Laura Palmer (Sheryl Lee) dans Twin Peaks : Fire Walk With Me

Le fantôme de Laura

« À la fin du feuilleton, j’ai éprouvé une forme de tristesse, je ne me résignais pas à quitter le monde de Twin Peaks (…). J’étais amoureux du personnage de Laura Palmer, de ses contradictions : radieuse en surface, mourante à l’intérieur. J’avais envie de la voir vivre, bouger, parler, d’explorer les recoins de ses tourments »

David Lynch pour Libération en 1992  

La force de Twin Peaks, c’est sans aucun doute ce regard bleu mystérieux avec lequel Sheryl Lee nous fixe tout au long des trois saisons de la série. Si le film se perd dans une narration décousue, opaque au spectateur qui n’a pas vu la série, celui-ci prend une puissance poignante et universelle quand il se recentre sur l’histoire de Laura Palmer. Un personnage que la caméra peine à capturer.

Une ambivalence plastique qui joue avec les limites de l’esthétisation de ce personnage abusé, dont le corps dénudé est capté par une caméra voyeuriste, et la recentralisation systématique sur le visage de l’actrice. Un visionnage plus que pénible pour un spectateur qui sera plongé, via une caméra subjective, au plus profond de la souffrance de la jeune femme. Avec Fire Walk With Me, c’est la fin de la légende Laura Palmer, la fin du mystère auquel la série a tant bien essayé de répondre. Qui était Laura Palmer ? Une enfant, victime des abus de son père, que le réalisateur fait renaitre pour lui offrir la paix qu’elle a toujours désirée.

Une réponse à la question rhétorique presque méta que Cooper avait posée au shérif Harry S. Truman (Michael Ontkean) au milieu de la saison deux après la résolution de l’affaire Palmer

« Harry est-il plus facile de croire qu’un homme puisse violer et assassiner sa propre fille ? Est-ce plus confortable ? ».

Le shérif répondra par la négative. Une illusion que David Lynch brise, pour dépeindre une horreur réaliste, le monstre et Leland ne font qu’un.

Un film décousu, imparfait mais puissant qui ouvre la parole sur les sujets tabous que sont l’inceste et les violences faites aux femmes. Laura Palmer, un personnage fictif transcendant, dont l’héritage sera réexploré dans le livre : Laura’s Ghost : Women Speak About Twin Peaks par Courtenay Stallings en 2020. En attendant vous pouvez découvrir les films de David Lynch au cinéma le Luxor à Paris jusqu’au 28 mai 2024.  

Bande-annonce Twin Peaks : Fire Walk With Me

Sources

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