Yvette Guilbaud revient pour Cultea sur les quatre années de guerre où elle a vécu avec une enfant juive. Elle a alors 15 ans, lorsque sa famille cache la petite Monique, âgée de 4 ans.
Assise dans un fauteuil de la Résidence Monclair du Cellier (commune de l’Est nantais), Yvette nous attendait. Cinq ans après la remise de sa médaille des Justes, elle revient sur cette grande cérémonie. « Ce n’est pas un scoop » annonce-t-elle dès les premières secondes. Car pour Yvette, cacher Monique était « très normal ».
Les descendants des Guilbaud connaissaient bien l’histoire et certains avaient même déjà rencontré Monique, sans pour autant chercher une quelconque reconnaissance. En dehors de sa famille, personne n’était au courant. Puisque « c’était normal » explique-t-elle, il n’y avait pas de raison d’en parler. Mais un jour, alors que des historiens viennent dans sa maison de retraite pour avoir des témoignages sur la guerre, Yvette avoue à l’un d’eux qu’elle a vécu avec une enfant juive. Ce sont ces historiens bénévoles qui feront tout pour faire reconnaître la famille Guilbaud.
Durant quatre ans, la petite juive a vécu chez les Guilbaud, au Cellier, comme n’importe quel enfant de la famille. C’est pour cette raison qu’Yvette, sa sœur et ses parents ont été décorés le 25 septembre 2016 de la médaille des Justes, la plus haute distinction civile de l’Etat d’Israël. Fière mais gênée, Yvette lit ce qui y est gravé : « Quiconque sauve une vie sauve l’Univers tout entier ».
Des retrouvailles après 75 ans
L’émotion était à son comble lors des retrouvailles : la petite protégée d’Yvette, une « enfant cachée de l’Holocauste », se tenait devant elle, 75 ans après leur séparation. Yvette reconnaît : « Quand je l’ai revue, c’est comme si je ne l’avais jamais quittée ». Ce moment « était très beau, il y avait quatre générations de ma famille et la sienne mélangées », témoigne-t-elle. Après la guerre, Monique est retournée vivre à Paris avec ses parents, puis a déménagé en Israël avant de traverser l’Atlantique pour construire sa vie avec son mari au Texas. C’est pourquoi, malgré les lettres des premières années, les deux femmes se sont perdues de vue.
Yvette, appréhendait la cérémonie, discrète à l’instar des Guilbaud qui « n’aiment pas les honneurs ». Maire du Cellier, délégation régionale de Yad Vashem, représentant de l’ambassade d’Israël, préfet de Loire-Atlantique… La cérémonie a regroupé des centaines de personnes. Dorénavant, le nom d’Yvette Guilbaud restera à jamais gravé au Mémorial de la Shoah de Paris et à Jérusalem.
Se taire ou mourir
Les parents de Monique avaient passé deux étés dans le village des Guilbaud, avec lesquels ils avaient fait connaissance. Suite à la rafle du Vel’d’Hiv (été 1941), vivre à Paris devient trop risqué et la famille de Monique demande aux Guilbaud de cacher leur fille.
Les Guilbaud déménagent et font coïncider l’arrivée de Monique au déménagement. Si bien que dans leur nouveau village, Le Cellier, personne ne connaissait la famille. À 15 ans, Yvette comprenait le risque que sa famille courait. Elle raconte : « Mes parents expliquaient beaucoup l’obligation de se taire et donc tout ce qui pouvait nous arriver ». Yvette promet n’avoir « jamais parlé à quiconque de ça ».
Etant jeune, Yvette n’a pas vraiment eu peur. Elle se rendait compte du risque, mais elle trouvait cela « assez simple », car sa famille avait tout bien fait, jusqu’à avoir une fausse carte d’identité pour Monique. Mais les troupes allemandes étaient partout, même dans leur village, alors Yvette restait toujours aux aguets.
Soudain, le regard d’Yvette s’assombrit : « Si, une fois j’ai eu peur ». Et pour cause, avec sa sœur et Monique, elles prennent le train et passent la ligne de démarcation pour que la petite fille puisse voir ses parents. Yvette reconnaît ne pas avoir été fière face aux soldats allemands qui rôdaient dans le couloir du train. Malgré la boule au ventre, il ne fallait rien laisser transparaître. S’ils avaient découvert que Monique était juive, les trois jeunes filles auraient été tuées.
« La vie normale »
Yvette se replonge dans ses souvenirs avec nostalgie. Malgré la guerre, elle a vécu de belles années au côté de Monique, qu’elle considère comme sa « petite-nièce ». « Je l’aimais beaucoup », affirme Yvette, « nous étions sa famille de cœur ». Pour Yvette, une chose est sûre : si les parents de Monique n’étaient pas revenus la chercher, les Guilbaud l’auraient gardée. « Elle avait sa place. »
Les jeunes filles allaient ensemble à l’école catholique, et même à la messe tous les dimanches. Elles chantaient beaucoup et faisaient de longues promenades. Pour Yvette, elles avaient une « vie normale », comme tous les enfants français de l’époque. La voix tremblante, Yvette avoue :
En 2016, Monique m’a dit : ”Quand je me compare à d’autres enfants juifs, j’étais dans le ciel, ils étaient dans l’enfer.” C’est pour moi le plus beau cadeau qu’elle ait pu me faire.
Yvette se souvient d’un moment marquant. Au cours de l’été 1945, « un Américain dans une Jeep est entré au Cellier, tout le monde l’acclamait, nous savions que la guerre était bientôt terminée… Mais aussi, que Monique allait bientôt nous quitter. » En effet, quelques semaines plus tard, les parents de Monique arrivent au Cellier pour récupérer leur petite fille. Entre tristesse et joie, les sentiments d’Yvette se mêlèrent. Beaucoup de larmes ont coulé lors de la séparation : « Lorsqu’elle est partie, ce fut un déchirement, je perdais une enfant de ma famille. »
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