La « collection Pinault » : des vestiges au cœur de l’actualité

La "collection Pinault" : des vestiges au cœur de l'actualité

La collection Pinault a ouvert ses portes, le 22 mai, à l’ancienne Bourse de commerce dans le quartier des Halles. Cette première exposition, sobrement intitulée Ouverture, présente près de 200 œuvres d’une trentaines d’artistes différents. 

L’événement culturel était particulièrement attendu, après deux années de pandémie. La collection Pinault dévoile Ouverture. Cette nouvelle étape inaugurale se veut annonciatrice de la programmation à venir. En effet, à l’image du réinvestissement de la bourse en musée, l’exposition questionne la réappropriation artistique des identités individuelles et collectives ; des thèmes au cœur de l’actualité.

Un mot sur le lieu

Halle aux Blés, puis bourse de commerce, aujourd’hui musée ; l’édifice du quartier des Halles a porté de nombreuses étiquettes. Le travail de l’architecte japonais Tadao Ando respecte cet héritage en concevant « un nouvel espace qui s’emboîte à l’intérieur de celui existant ». Un cylindre de béton découpe une pièce centrale : la Rotonde, autour de laquelle s’étendent différentes galeries. Impossible pour le spectateur d’échapper à cette confrontation entre passé et modernité qui sous-tend les lignes architecturales.

Urs Fischer ouvre le dialogue des représentations

La Rotonde constitue un carrefour dans lequel s’entrecroisent spectateurs et représentations.

Une fresque style renaissance orne le plafond. Cette dernière offre une vision caricaturée des territoires commerciaux de l’Europe coloniale, avec laquelle entre en contraste le gris épuré de la structure. Au centre, le visiteur découvre une copie monumentale de L’enlèvement des Sabines de Giambologna, créée pour la Biennale de Venise de 2011. Cette statue composée de cire est vouée à l’éphémère (6 mois à partir de l’allumage des bougies) et se consume sous nos yeux.

L’enlèvement des Sabines de Giambologna, créée pour la Biennale de Venise de 2011.
Copie en cire de L’enlèvement des Sabines de Giambologna

En jouant sur le recyclage et la fin annoncée de ses œuvres (à l’instar de la Bourse), Urs Fischer dérange la pérennité de nos représentations – et des rapports de domination qu’elles sous-tendent – telles qu’elles sont fixées dans la fresque.

« Du supermarché au musée »

Autour, le Passage se présente comme une galerie à travers le temps. Ainsi, 24 piliers sont transformés en vitrines dans lesquelles l’artiste Bertrand Lavier expose des objets insolites. Aussi, lances médiévales et plastrons côtoient scies, aspirateurs, extincteurs … L’artiste joue sur l’opacité ou la transparence des matériaux et met en relief un rapport nouveau au monde-objet.

Le choix des objets exposés amène le visiteur à s’interroger sur leurs symboliques. Leur association avec des pièces muséales projette le visiteur dans un futur où nous pourrions observer les reliques de notre propre temps.

Vestiges et recyclage 

Dans un autre style, David Hammons se réapproprie des objets du quotidien dans une démarche duchampienne (comme le panier de basket de Untitled, 2000) pour en faire matériel de création. Il dépasse ainsi la définition de l’Objet-utilitaire pour construire une expression dans laquelle se brouillent les frontières du monde humanisé et de celui objectivé (Black mohair spirit One stone head…).

Art et politique

Enfin, galerie 3 questionne la portée politique de l’art et expose des séries photographiques de Cindy Sherman, Michel Journiac, Martha Wilson, Louise Lawler, Richard Prince. Ces artistes jouent avec les rôles et stéréotypes. Ils offrent ainsi une vision ironique, décalée et engagée des représentations sociales et de leurs carcans. Mettre en lumière le cliché pour aller contre son essence : fixer pour faire bouger les lignes.

François Pinault annonce la Bourse comme un :

« lieu ouvert aux interventions des artistes, comme à Venise, et qui aura une vocation éducative et pédagogique en faveur des publics les plus divers et surtout de ceux qui sont habituellement éloignés de l’art contemporain ».

Il convient néanmoins de s’interroger sur cette ambition. Ni fondation ni musée, la collection Pinault reflète une dérive de la marchandisation de l’art contemporain et des pratiques d’arketing. Rappelons que l’homme d’affaires est un collectionneur et que l’exposition publique de ces différentes œuvres contribue à augmenter leurs cotes. À ce titre, la tribune de Jean-Michel Tobelem et l’article d’Arthur Weidenhaun illustrent cette utilisation de l’art à des fins marketing.

Difficile de citer toutes les expériences esthétiques que cette exposition réserve. Elle s’inscrit du moins dans l’actualité des questionnements qui traversent conjointement l’art contemporain et la société. Le visiteur est pris dans ce discours qui se construit entre représentation d’hier et réappropriations identitaires, individuelles et collectives d’aujourd’hui. Assez de la voir sur les story insta ? Allez-y en vrai … 

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