Le 1er février 1943, avec l’accord du régime de Vichy, les troupes nazies à Marseille déclenchaient l’opération Sultan. Les occupants commençaient alors à bombarder à la dynamite la « Petite Naples » marseillaise, « verrue de l’Europe » selon la formule d’Himmler. En 2 semaines, 1 500 immeubles s’effondrent dans les gravats. Marseille, balafrée, perd ainsi une grande partie de ses vieux quartiers.
Marseille, une capitale immigrée
Dockers, pêcheurs, ouvriers… Le quartier de Saint-Jean grouillait de ces hommes et femmes aux revenus modestes, Italiens (dont une majorité de Napolitains), Corses ou encore Arméniens, venus trouver sur les rives du Vieux-Port un lieu de vie populaire mais solidaire. Le jour de la Saint-Michel, par exemple, les cloches de l’église Saint-Laurent résonnaient à l’entrée du canal de la Joliette. C’était l’occasion pour les pêcheurs originaires de Procida, dans la baie de Naples, d’exposer leurs meilleures prises du jour et de les offrir ensuite aux orphelins des quartiers.
Certains Français acceptent mal l’arrivée ininterrompue de nouveaux migrants qui ne parlent pas leur langue. On les appelle « Nabos » pour les Napolitains, ou bien « nervis », qui signifie voyou. Le racisme à l’égard des immigrés italiens s’intensifie dès la fin du XIXe siècle dans la région.
En 1893, à Aigues-Mortes, entre 8 et 20 travailleurs italiens de la Compagnie des Salins du Midi sont massacrés à coups de bâton, noyades et coups de fusil par les émeutiers. Déjà, dix ans plus tôt en 1881, les « Vêpres marseillaises » faisaient 3 morts et révélaient l’ampleur de la xénophobie dans les mentalités.
Le traumatisme de la déportation
Le soir du 22 janvier 1943, les policiers français (gardes de mobilité) bouclent le quartier de Saint-Jean sous la supervision des SS. Il fait partie de ces quartiers populaires dans lesquels les habitants sont en majorité italiens. En effet, ils sont souvent Napolitains, victimes du racisme qui leur donne le surnom de « cons à la voile », en référence à leur moyen d’immigration par barque du début du siècle.
Dans la nuit du 23 au 24 janvier d’un hiver particulièrement froid, les premières familles à qui l’on ordonne de quitter leur domicile se retrouvent sans logement. On toque à la porte de beaucoup d’autres, leur demandant de préparer leurs affaires pour le lendemain. Au matin du 24, le quai du Vieux-Port, alors renommé quai du Maréchal Pétain, est noir de monde.
Les premiers contrôles d’identité s’enchaînent et les convois se remplissent, direction la gare d’Arenc dans l’actuel quartier de la Joliette. Ce que les 12 000 déportés de Saint-Jean (sur ses 20 000 habitants) ne savent alors pas, c’est qu’une grande partie des juifs marseillais, notamment originaires du quartier de l’Opéra, a déjà été acheminée à son premier camp de concentration dans des convois à bestiaux. Depuis Fréjus, plus de 700 d’entre eux seront ensuite emmenés en Ile-de-France avant de mourir dans les chambres à gaz des camps d’extermination allemands et polonais.
Ainsi, les déportés marseillais, juifs ou non, sont conduits à Fréjus. Les autorités françaises y effectuent le premier tri de ceux que l’on relâchera une semaine plus tard. La plus grande partie sera libérée, quand d’autres, même non-juifs mais suspectés de résistance, partiront pour les camps outre-Rhin.
Le dynamitage de Saint-Jean et le rire de Pétain
Mais quand les premiers libérés parviennent à regagner Marseille et le quartier de Saint-Jean, les Allemands ont déjà commencé l’explosion méthodique de leurs habitations. Marseille, capitale des exils et des mélanges de populations méditerranéennes et orientales, se retrouve défigurée. La rive nord du Vieux-Port, berceau historique de la cité phocéenne, est ainsi réduite à un terrain vague.
Le 3 mai 1943, le maréchal Pétain rit lorsqu’on évoque le dynamitage des vieux quartiers marseillais.
« Ce n’est pas dommage. Je suis même assez d’accord qu’on ait mis par terre ce quartier. »
Si, aujourd’hui, le langage marseillais tire une grande partie de son vocabulaire de ces immigrés de Saint-Jean, leur mémoire reste en grande partie occultée.
En 2019, 76 ans après les faits, le parquet de Paris ouvrait une enquête pour crime contre l’humanité suite à une plainte déposée contre X par un avocat marseillais, maître Pascal Luongo. Un espoir, peut-être, pour intégrer l’expérience marseillaise de l’occupation nazie dans les mémoires de la Seconde Guerre mondiale, qui s’incarne encore aujourd’hui dans son paysage rénové.
Sources :
- France Culture : Rafle à Marseille en 1943 : un quartier rasé et le petit rire de Pétain
- Marsactu : Rafle du Vieux-Port : le parquet de Paris ouvre une enquête pour crime contre l’humanité
- « La Petite Naples Marseillaise » par Le Comité du Vieux-Marseille et Massaliote-Culture, racontée par Michel Ficetola