Êtes-vous passés à côté de Vivarium ?
Réalisé par Lorcan Finnegan et sorti en France en mars 2020, ce long-métrage irlando-belgo-danois a pu laisser perplexe plus d’un spectateur. Si on peut lui attribuer autant de styles qu’il ne possède de nationalités (science-fiction, thriller, film d’horreur ?), il est toutefois unique en son genre. On y retrouve un Jesse Eisenberg plus grave que jamais, accompagné à l’écran par l’actrice britannique Imogen Poots, d’une force rare, dans les rôles respectifs de Tom et Gemma.
Synopsis
Couple de trentenaires heureux et complice, il ne manque plus qu’à leur épanouissement un petit nid douillet rien qu’à eux (sans mauvais jeux de mots en référence à la scène d’ouverture du film, bien entendu…). Pour ce faire et un peu par hasard, nos deux tourtereaux visitent le carré pavillonnaire numéro 9 du lotissement “Yonder”… Dont toutes les maisons sont parfaitement identiques.
Peu emballés par ce modernisme et ce quartier un peu trop calme et trop parfait, ils se résolvent à partir, alors que l’agent immobilier au sourire glaçant et aux allures de robot a étrangement disparu au cours de la visite. Problème : impossible de trouver la sortie du lotissement, qui s’avère être un labyrinthe sans fin dont on ne peut visiblement pas ressortir…
Épuisés et à court d’essence, Gemma et Tom décident de dormir dans la maison. Les jours qui suivent, des vivres sont déposés chaque jour au pas de la porte. Ils ne sont donc pas seuls, mais pourtant, un silence pesant règne dans les rues désertes. Après maintes tentatives pour essayer de s’échapper, ce n’est pas de la nourriture mais un nourrisson qui se trouve dans l’un des cartons avec l’indication suivante “Elevez-moi et vous serez libres”.
Analyse de Vivarium (attention spoilers)
Conte horrifique et dystopique, Vivarium a pu laisser plus d’un spectateur insatisfait face à cette fin où rien n’est résolu (rappelons-le, les deux protagonistes sont morts et le but des “agents immobiliers” n’est pas explicité). Annonce d’un cercle vicieux qui se reproduit sans fin ? Alors, finalement, est-ce un “bon” film, s’il n’explique et justifie rien ?
Là est toute la question. Certes, la fin laisse le spectateur avec peu d’informations pour comprendre les réelles intentions de l’auteur. Mais avec un peu de discernement, on peut rapidement déceler le génie du film, qui repose justement sur le discours métaphorique.
Si on veut d’abord essayer de comprendre Vivarium au premier degré, c’est finalement assez simple. On peut supposer que Yonder, l’agence immobilière est un groupe de mutants, d’extraterrestres ou de créatures mi-homme mi-reptile (d’où l’allure et la démarche atypique de l’enfant lors des scènes où il mute, notamment celle où il “ouvre” le trottoir pour s’y cacher), et a pour but but d’emprisonner des couples dans des maisons, des “vivariums” (mot initialement utilisé pour désigner les espaces ayant pour but d’imiter le milieu naturel d’animaux observés…) afin qu’ils élèvent des bébés mutants.
Mais pourquoi ne pas le faire eux-mêmes ? Tout simplement parce que la durée de vie des mutants est très courte. On peut le comprendre grâce à la croissance accélérée de l’enfant et à la scène finale, où l’agent immobilier est mort sur son bureau. C’est d’ailleurs l’enfant (déjà adulte) qui range le cadavre de celui-ci et le remplace à son tour. Il prend donc la relève, pour à son tour piéger de nouveaux couples. Et c’est sûrement de cette manière qu’ils perpétuent l’espèce.
Critique du conformisme matériel
Mais là où le propos du film trouve tout son intérêt, c’est dans sa critique indirecte de notre société moderne. Notamment le conformisme et la société de masse. On retrouve cette critique à travers le décor volontairement artificiel et complètement surfait du lotissement composé de maisons identiques (on peut y voir une référence à l’univers Black Mirror sur l’aspect dystopique et particulièrement à l’épisode Nosedive), mais également, de manière un peu plus subtile, à travers l’évolution du couple que forme Gemma et Tom tout au long du film.
En effet, ils sont complices et ont l’air heureux. Du moins, avant le piège de la maison et l’arrivée de l’enfant. Avant, finalement, de devenir un couple lambda, un « couple universel » qui rentre dans les cases. Bien sûr, ici, Gemma et Tom se sont vu imposer l’éducation de l’enfant, ainsi que le fait de vivre dans cette maison. Mais le film critique indirectement les choix conformistes des humains en général.
Critique du conformisme social
De plus, la mise en scène de ce schéma familial (bien que l’enfant soit ici un inhumain) révèle certaines failles… Comme toutes celles qu’un enfant peut faire naître au sein d’un jeune couple (conflits en lien avec l’éducation, par exemple). Cela dénonce donc l’aspect destructeur que peut avoir le choix de devenir parent.
Le seul obstacle à la complicité des deux antagonistes devient d’ailleurs l’enfant, source majeure de disputes et de désaccords. Cette situation mènera d’ailleurs Tom à creuser inconsciemment sa propre tombe, au sens propre comme figuré. Il s’agit d’ailleurs du personnage le plus vulnérable. Complètement dépassé par les événements, il tentera de survivre en mettant tous ses espoirs dans le trou qu’il creuse, au prix de sa relation avec Gemma.
Quant à elle, Gemma, maîtresse d’école de profession rappelons-le, va malgré les comportements odieux de l’enfant créer une relation avec lui. Elle va même développer un instinct maternel, notamment visible dans des scènes de conflit avec Tom. On peut d’ailleurs y voir une référence au complexe d’Oedipe : l’enfant rejette Tom pour mieux amadouer Gemma, jusqu’à le tuer… Bien qu’il finisse aussi par tuer Gemma, mais plus tardivement tout de même.
Autre théorie
Pour finir, une interprétation plus discutable mais qui mérite tout de même d’être prise en compte : et si Vivarium n’était qu’une mise en abyme ?
Supposons en effet que les spectateurs soient représentés par le couple, et que le réalisateur, lui, est incarné par l’agent immobilier, l’enfant, et tout ce qui se rapporte à la « force maléfique ». Le film serait donc une mise en abyme, dans le sens où il met en scène notre expérience de spectateur face au long-métrage. Une sorte de miroir qui refléterait notre impuissance et notre vulnérabilité en tant que simple spectateur.
L’enfer que vit le couple, l’incompréhension provoquée par cette situation est la même que nous ressentons face au long-métrage. D’une certaine manière la fin, là encore, confirme cette hypothèse. Car les mutants ont « gagné », tout comme le réalisateur. Il a donc réussi à nous immerger dans une atmosphère angoissante. Et le nouveau couple qui arrive lors de la scène finale représente les prochains spectateurs.
A leur tour, ils vivront cette expérience unique et presque traumatisante de part la proximité singulière des spectateurs et du couple, surtout au niveau des émotions respectivement ressenties. Le réalisateur a donc lui aussi gagné son pari, celui de nous nous piéger pour mieux tuer métaphoriquement nos espoirs de comprendre ou même de voir arriver une fin heureuse. Ainsi, comme Gemma et Tom, on ressort (mais nous, vivants…) sans explication sur ce que nous venons de vivre.
Ce huit clos psychologique joue de nos nerfs et a donc pu en décontenancer plus d’un. Mais Vivarium, laissant une fin ouverte, permet une grande liberté d’interprétation. Et cela ne fait que révéler la palette de sujets indirectement abordés à travers celui-ci. Certes, il ne paraît être qu’un simple film d’horreur dystopique bâclé au premier degré de lecture. Mais laissez-vous surprendre par ce qu’il ne dit pas, et vous ne pourrez être que convaincus !
Un article très bien écrit, qui m’a permis de voir le film sous un autre angle et qui m’a faite mieux comprendre certains passages un peu troubles . Un grand merci 😉
Merci beaucoup Marina pour ton retour, cela me fait très plaisir ! Contente d’avoir pu te refaire découvrir le film 🙂