« Mickey 17 » : Bong Joon Ho au sommet de son art [critique]

"Mickey 17" : Bong Joon Ho au sommet de son art [critique]

Après avoir tout cassé en 2019 avec Parasite, le cinéaste Bong Joon Ho est de retour six ans après avec son nouveau film : Mickey 17. Emmené par Robert Pattinson, Mark Ruffalo, Steven Yeun ou encore Toni Collette, Mickey 17 mélange les genres, entre comédie, film de science-fiction et satire sociale. Une petite claque, qui prouve encore une fois la maîtrise totale du cinéaste sud-coréen. 

Mickey 17 : une fable de science-fiction passionnante

Mickey 17 raconte le destin de Mickey Barnes. Ce dernier décide de quitter la Terre, car il doit beaucoup d’argent à un mafieux. Il s’engage alors comme Remplaçable. Grâce à une technologie futuriste, Mickey peut mourir encore et encore tout en étant recloné. Ce qui permet à une colonie spatiale américaine de l’envoyer faire des missions particulièrement dangereuses. Et puis, s’il meurt, on s’en fiche, car son esprit et son corps ont été copiés pour les réimprimer encore et encore.

Bong Joon Ho a l’habitude de passer du cinéma coréen au cinéma américain. Après tout, le réalisateur de The Host et de Memories of Murder a également signé les excellents Okja et Snowpiercer. Avec Mickey 17 il prouve encore sa capacité à imposer son ton, sa personnalité, à une œuvre occidentale. Malgré un budget de plus de 100 millions de dollars alloué par la Warner, Bong Joon Ho ne trahit jamais ses principes, son identité, et parvient à imposer son style loufoque et décalé à une superproduction de cette envergure.

Mickey 17

Mickey 17 débute avec un montage vif, efficace, qui explique à l’assistance le concept du film, et comment on en est arrivé là. Des flash-back et une voix off viennent rythmer une première partie un peu trop explicative pour réellement fonctionner à la perfection. Attention, les rouages sont extrêmement bien huilés et le tout est rythmé au millimètre. Il n’empêche que Bong Joon Ho aurait pu être plus créatif, surtout en termes de mise à mort, et d’utilisation de son propre concept. Il avait ici l’occasion de proposer une mise en scène encore plus ludique pour expliquer le destin des 16 précédents Mickey. On a bien quelques morts rigolotes, mais la proposition manque d’envergure pour réellement marquer les esprits.

Après un début un peu trop conventionnel donc, Mickey 17 s’engouffre dans un mélange des genres passionnant. Film de science-fiction, fable écologique, satire politique et sociale, le film touche-à-tout. Parfois même trop gourmand (certaines sous-intrigues sont totalement abandonnées en cours de route), Mickey 17 ne craint pas d’aller au bout de ses convictions. , Glauque et comique à la fois, sorte de mélange entre Rencontre du troisième type et Idiocracy, Mickey 17 est une œuvre contemporaine qui raisonne parfaitement dans notre époque moderne.

Idiocracy sur une autre planète

Mickey 17 aborde énormément de concepts politiques et scientifiques modernes. C’est un regard sur la notion même de mort, sur l’exploitation de l’individu, et sur la totale apathie de nos dirigeants envers la mort. Mickey n’est qu’une marchandise, n’est d’un individu recyclable. Cette notion de « remplaçable », de clonage, est la porte d’entrée parfaite pour pointer du doigt une société exploitant l’individu, l’être humain, à des fins mercantiles. Le cinéaste fait ici du corps humain la ressource ultime d’un capitalisme à outrance, exploitable et inépuisable.

Mickey 17

Bong Joon Ho ne fait pas dans la dentelle, et manque même parfois de subtilité. C’est par exemple le cas avec le personnage de Mark Ruffalo, ce dirigeant aux dents trop blanches, sorte de parodie assumée de Donald Trump. Avec un jeu qui nous rappelle parfois Pauvres Créatures, Mark Ruffalo est une caricature du politicien moderne démagogue, qui n’a plus aucune responsabilisation, qui délaisse l’intérêt général pour servir ses propres désirs et motivations. Et ce, même, s’il doit mettre en péril toute sa colonie. Tout droit sorti de Dr Folamour, il est irritant, suffisant et certains de sa fausse bonne conduite. Miroir d’un Donald Trump fraîchement réélu.

Mickey 17 est aussi une fable écologique impactante. Bong Joon Ho nous parle de colonisation, à une époque où Donald Trump veut envahir le Groenland ou même le Canada. Encore une fois, difficile de fermer les yeux et de ne pas voir un parallèle avec notre monde politique contemporain. Comme à son habitude, comme dans Okja, Bong Joon Ho partage un profond respect pour les espèces animales et végétales, et impose un discours écologique nécessaire, qui fait échos à une colonisation politique qui elle, n’est pas forcément indispensable. Il met ainsi en exergue la collision entre une volonté d’asservir, d’envahir, et une notion de compréhension et de respect d’autrui.

Mickey 17

Mickey 17 explore ainsi l’ancrage des inégalités sociales. Une approche qu’il avait déjà mis en place avec son excellent Snowpiercer. Ici aussi, les castes sociales sont séparées. Ici aussi une rébellion se prépare. Ici aussi, on en a assez du système unilatéral. Si on parle d’Idiocraty, c’est aussi parce que les personnages de Mickey 17 sont tous plus débiles les uns que les autres.

Surtout les politiciens, mais aussi Mickey en personne, toutes les figures proposées par Mickey 17 sont des aliénations intellectuelles. Plus capables de réfléchir, plus capables de penser et d’évoluer par eux-mêmes, Mickey 17 dépeint une société dans laquelle le système est tellement ancré dans le fonctionnement de pensée, que plus personne n’a la capacité intellectuelle de se poser des questions et de remettre en doute l’ordre établit.

Pas assez de Mickey ?

Là, ou cependant, Bong Joon Ho ne va peut-être pas assez loin, c’est dans l’expression de tous ses Mickey. Si Robert Pattinson est toujours parfait, quel que que soit le type de Mickey qu’il doit incarner, le cinéaste sud-coréen n’exploite pas assez en profondeur le vertige identitaire qui s’offre à lui.

Tantôts grotesques, effrayants, sublimes, charismatiques, benêts, pathétiques voir même machiavéliques, les nombreux variants de Mickey sont tous différents les uns des autres. Mais le metteur en scène préfère se concentrer sur Mickey 17 et 18 quitte à délaisser totalement les autres. Un parti-pris logique, surtout au sein d’une œuvre parfois trop vorace pour se donner le temps de tout développer convenablement, mais un peu frustrant.

Mickey 17

Avec ce procédé, Bong Joon Ho a accès à un vide métaphysique passionnant sur l’identité, sur le moi intérieur, sur le fait d’être humain. Pourquoi chaque nouveau clone est différent du précédent s’il s’agit du même individu ? La question n’est jamais effleurée, malgré le changement de comportement des différents Mickey. Bong Joon Ho pouvait aussi facilement faire un parallèle avec l’aliénation de l’individu, sacrifié sur l’autel du profit, sur l’effacement de la mémoire et des sentiments collectifs et personnels. Mais il ne fait qu’effleurer ces pérégrinations psychologiques, préférant se concentrer sur ses motivations politiques.

Une direction artistique dingue

Mickey 17 frappe également par son équilibre entre tous les genres qu’il aborde. Comédie, satire sociale, film de science-fiction, film de guerre, film d’action, fable écologique, l’oscillation entre les registres, marque de fabrique du cinéaste, est ici parfaitement maîtrisée. Bong Joon Ho atteint des sommets de virtuosité, aidé par la photographie superbe de Darius Khondji. Crasseux et organique, Mickey 17 propose une science-fiction qui emprunte autant à Star Wars qu’à Brazil.

Mickey 17

Lorsqu’on est avec les puissants, les décors, plus colorés, plus excentriques, semblent être hors du temps, hors d’une réalité physique. A contrario, lorsqu’on est avec les prolétaires, la mise en scène opte pour une approche crasseuse, organique, où les gens saignent, transpirent et baisent. Les décors sales n’ont rien à envier à la direction artistique d’un Alien par exemple. L’idée est ainsi d’éviter une science-fiction aseptisée, clinique et désincarnée. 

Seul bémol, Mickey 17 est parfois trop généreux, trop glouton, trop foutraque. Bong Joon Ho a des difficultés à faire le tri dans ce qu’il veut aborder, donc il décide de parler de tout. Certaines intrigues sont alors laissées de côté à l’image de ces mafieux au début du récit (qu’on reverra à peine le temps d’une séquence prétexte) ou même via la trajectoire de certains personnages comme celui d’Anamaria Vartolomei (Le Comte de Monte Cristo), totalement expédiée. Cela donne parfois une sensation de fourre-tout, qui ne permet pas à l’émotion de réellement exister.

Il n’empêche que Mickey 17 est une proposition forte de son auteur, qui embrasse tous les codes du blockbuster américains tout en le critiquant de l’intérieur. Un nouveau tour de force de la part du réalisateur oscarisé ! 

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