Tesla et le quatrième âge industriel : vers un teslisme ?

Jules Chancel
Jules Chancel
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On a tous déjà entendu parlé de Tesla et de son excentrique leader Elon Musk. Cet ingénieur geek n’hésite pas à pousser plus loin la recherche pour répondre aux besoins futurs de la race humaine, ou bien faire une bonne blague. Ainsi, son entreprise automobile, Tesla, est largement en avance sur le marché de l’électrique. Il faut dire qu’une berline fiable capable de s’auto-conduire et proposant de base plus de 300 chevaux pour moins de 40 000€ fait rêver. Au-delà du véhicule, c’est l’organisation même de l’entreprise qui est révolutionnaire. Découvrons ensemble pourquoi.

Tesla

L’entreprise automobile Tesla a été fondée en 2003 par deux ingénieurs américains. Leur objectif est alors de fabriquer des voitures entièrement électriques. C’est un véritable challenge puisque le marché automobile est ultra compétitif et il est difficile de s’y faire une place. La première année, il n’y a pas vraiment d’activité technologique, seulement des beaux projets et une recherche d’investisseurs. L’année suivante, les deux hommes rencontrent Elon Musk qui accepte d’investir et fournit globalement 87% du capital. Au départ simple start-up, l’entreprise explose après la sortie de son premier modèle sportif en 2008 : la Tesla Roadster. Ce modèle se vend à 1000 exemplaires lors des années 2008 et 2009, seulement alors sur le sol américain.

Cette même année 2009, Tesla présente la Roadster au salon de Monaco. Là-bas, plusieurs célébrités ne cachent pas leur affection pour la nouvelle marque. Notamment le prince Albert lui-même, Bono ou encore Damon Hill. L’entreprise se démocratise par la suite en proposant des batteries pour habitations et entreprises.

Tesla passe à la vitesse supérieure en 2016 en annonçant le modèle 3. Exit la super-sportive, bonjour la berline confortable. En un an, Tesla enregistre 500 000 précommandes. Depuis, la marque va de succès en succès, s’implantant doucement partout dans le monde. Certains se questionnent alors pour comprendre comment ce petit nouveau a pu devenir la plus grosse capitalisation boursière de l’industrie automobile mondiale. Pour le comprendre, revenons un peu en arrière pour voir comment fonctionne une entreprise automobile.

La nouvelle Tesla Roadster est finalement repoussée

C’est quoi le fordisme ?

Une entreprise moderne utilise indirectement des principes de base de ce que l’on appelle fordisme. En effet, cette méthode d’organisation repose sur les travaux de Frederick Taylor qui furent mis en application par Henry Ford dans ses usines automobiles. L’idée est divisée en trois points :

  • On standardise les produits et les pièces les composant pour permettre la production en série. De plus, cette standardisation fait aussi gagner du temps sur la maintenance.
  • On travaille sur des chaines de montage en divisant le travail entre ouvriers non qualifiés et techniciens.
  • On augmente le pouvoir d’achat (le salaire donc) des ouvriers pour compenser l’ennui dans la répétition des tâches. Cette hausse de salaire est rendue possible par l’augmentation des profits due elle-même à l’augmentation de la productivité par le recourt à cette méthode.

C’est quoi le toyotisme ?

Le fordisme fût une véritable révolution mais on estima plus tard qu’il était insuffisant pour assurer une rapide adaptation aux marchés. L’ingénieur japonais Taiichi Ōno propose alors une solution, appliquée dès 1962 dans les usines Toyota. Qu’est-ce qui change alors ?

  • L’ouvrier est bien plus impliqué dans le processus global de fabrication. Il n’est plus monotâche mais bien polyvalent et surtout doté de vraies compétences.
  • L’avis des ouvriers est important car en participant à la production il constate directement les problèmes inhérents. Ceux-ci participent donc à remonter les problèmes et à réfléchir à leur résolution.
  • La production est faite en fonction de la demande et fonctionne en flux-tendus.
  • Idéologie des cinq zéros : zéro stock, zéro défaut, zéro papier, zéro panne, zéro délai.

Principalement, il faut retenir ici l’idée de gagner en adaptabilité et en compétitivité. En n’ayant aucun stock et ne produisant que ce qu’il faut, on peut rapidement changer totalement de produit. De plus, en faisant des ouvriers des techniciens participants à la qualité, on augmente cette dernière tout au long du processus de fabrication. Enfin, en responsabilisant les travailleurs on participe à gagner en autonomie.

Ce serait quoi le teslisme ?

Répondre aux défis contemporains

Le teslisme serait d’abord une réponse aux enjeux contemporains d’une entreprise industrielle. Ceux-ci peuvent être répartis en quatre points.

  • Le premier défi est de répondre à l’hyper-connexion de notre monde contemporain. En effet, l’accès à internet s’est grandement démocratisé, celui-ci étant disponible dans quasiment tous les pays du monde. De plus, le prix des smartphones a suffisamment diminué pour que tout le monde puisse s’en offrir un. Enfin, la présence sur les réseaux sociaux est en hausse permanente depuis dix ans. Ainsi, Facebook peut se targuer d’avoir près de 2,8 milliards d’utilisateurs actifs chaque mois. Le défi est donc de savoir comment doit se comporter une entreprise vis-à-vis de cette donnée.
  • Le second défi, c’est d’arriver à suivre le train en marche. En effet, de nos jours les produits évoluent à une vitesse fulgurante. Il y a encore dix ans, un smartphone muni d’un appareil photo pas terrible coûtait au minimum 200€. Aujourd’hui, on peut s’offrir un appareil dès 60€ avec une caméra nettement supérieure à celle d’il y a dix ans. Même chose dans l’automobile, l’ordinateur de bord avec GPS et Bluetooth n’était qu’une option de luxe sur les véhicules d’il y a dix ans. Aujourd’hui, c’est un standard. Il faut donc se demander comment on transforme son entreprise pour aller aussi vite.
  • Le troisième défi est de répondre à « l’économie de l’usage ». Si on reprend l’exemple du smartphone, ce dernier ne sert plus seulement à téléphoner, mais bien à un milliard d’autres choses. Les consommateurs ne sont plus enclins à dépenser de l’argent dans plusieurs produits à la fois, ils privilégient d’abord la fonction. Le smartphone assure ce qu’assuraient le téléphone, l’agenda, le calendrier, le réveil, le baladeur mp3, l’appareil photo et encore bien d’autres produits. Adapter son entreprise à cette nouvelle donnée peut par exemple passer par un système de location. Par exemple, certains n’estiment pas intéressant de posséder une voiture. Mais ils en auront parfois besoin, alors on peut tout simplement la louer.
  • Quatrième point et gros challenge, le consommateur se soucie de plus en plus de l’environnement et des conditions de production du produit. On se soucie de la traçabilité, de l’éthique et de manière générale on apprécie la transparence.

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Comment Tesla procède ?

Tesla a grandi à Palo Alto en Californie, dans la Silicon Valley. Un choix qui en dit long puisque ainsi, elle a bénéficié de ce climat propice à l’innovation au milieu des géants du numérique et de la tech. Elon Musk lui-même ne définit pas la marque comme un constructeur automobile mais comme un acteur de la transition écologique. C’est fort de sens puisque cela sous-entend que Tesla ne va pas se limiter aux véhicules. En effet, la marque investit déjà dans les batteries en général mais également les toitures solaires et autres centrales électriques.

Elon Musk et les réseaux

Pour ce qui est de gérer la communication « connectée », la marque peut compter sur Elon Musk. Accroc à Twitter, ce dernier ne passe pas une semaine sans faire parler de lui. Il est brillant, c’est un geek invétéré, il est un peu mégalo et ne cesse jamais de redoubler d’effort pour proposer des idées loufoques. Il y a à peine quelques jours encore, un de ses proches avouait que Musk possédait les moyens financiers et la technologie pour développer de nouvelles espèces de dinosaures d’ici 15 ans afin de concrétiser un vrai « Jurassic Park ».

Ce genre de déclarations, ainsi que les succès de Musk avec Space X, Neuralink et Tesla permettent de rassurer investisseurs et consommateurs. Ainsi, Elon devient un panneau publicitaire démesurément efficace, faisant que Tesla n’a quasiment pas besoin d’avoir de service de promotion. Le défi de répondre à l’hyper-connexion est donc résolu facilement, Musk étant aussi populaire qu’un footballeur.

L’innovation, partout, tout le temps

Ce qui est intéressant avec Tesla, c’est que la voiture est pensée comme un smartphone. Toujours connectée, celle-ci collecte des données pour perpétuellement s’améliorer. Ainsi, le système de bord reçoit régulièrement des mises à jour. Un véhicule sorti il y a quelques années et ayant des problèmes de frein ou de moteur peut donc être « corrigé » à distance. On réduit en quelque sorte l’obsolescence du produit.

Plus que cela, ses consommateurs en sont très fans et réalisent donc, parfois malgré eux, la promotion de la marque. Cela passe par des posts sur Instagram, des billets sur Twitter ou encore pour d’autres des vidéos test sur Youtube. Ainsi, ils deviennent des ambassadeurs de la marque parce qu’ils adhèrent à sa philosophie. Musk l’a très bien compris, il en joue même beaucoup. Baptisée « traction tentaculaire », l’idée consiste à utiliser des personnes en dehors de l’entreprise pour faire la promotion ou contribuer à l’amélioration de la marque.

Par exemple, Musk a parfois usé de cerveaux extérieurs à Tesla, notamment en organisant par exemple le concours suivant. Le jeu consistait à pirater une Tesla à distance et en expliquer ensuite le processus. Le gagnant repartait alors avec la voiture offerte et Musk obtenait de nombreux correctifs pour les systèmes de sécurité. Gagnant-gagnant, mais surtout « gratuit » pour Tesla qui aura fait plancher de nombreux cerveaux non-rémunérés sur ce problème.

Model 3 | Tesla France

Produire sur place

Chez Tesla, la philosophie est de produire soi-même une grande partie des composants du véhicule. Pour ce faire, la marque développe des usines sur place afin de « produire local ». Ainsi, la marque crée de l’emploi aux États-Unis et affiche une plus grande transparence sur sa production. De plus, cette localité réduit drastiquement les transports, et de ce fait la pollution, aux quatre coins du monde. L’usine principale d’assemblage des Tesla se trouve à Fremont en Californie.

Pour ce qui est de la batterie, ses cellules sont fabriquées près des lieux où les produits vont être utilisés. Ainsi, on en trouve trois aux USA, dans le Nevada, au Texas et à New-York, mais aussi une à Berlin et une à Shanghai. Toutes ces usines dédient une partie de leurs activités à l’assemblage de voitures.

Une mentalité de développeur

Enfin, il est de notoriété publique qu’Elon Musk a mis plusieurs brevets de Tesla en Open Source. Se faisant, il se donne une image de philanthrope soucieux de l’avenir de la planète. En effet, en rendant gratuite l’utilisation de ses technologies, Tesla permet à la concurrence d’entrer plus facilement dans l’air électrique. Si cette concurrence fait ce pas plus rapidement grâce au travail prémâché de Tesla, alors le marché de l’électrique se démocratise et s’impose. Conséquence directe, les politiques publiques s’y intéressent et les bornes de recharge fleurissent partout sur le territoire. Ainsi, Musk sert avant tout l’intérêt de Tesla puisqu’il permet par ce cycle de faire taire ses détracteurs qui se plaignent de l’accessibilité des bornes tout en se faisant de la pub.

Vous l’aurez donc compris, la force de Tesla réside dans sa nouveauté, sa capacité à innover et sa mentalité de start-up de la Silicon Valley. Son dirigeant fantasque Elon Musk est une véritable attraction permettant à la marque une publicité continue. En étant précurseur de l’électrique et en s’assurant plus de transparence dans la production, la marque s’offre une image verte en accord avec son temps. C’est cette image jeune et dynamique qui pousse plus de 500 000 personnes à postuler chaque année chez Tesla.

Sources :

  • https://www.industrie-techno.com/article/le-modele-tesla-une-source-d-inspiration.54409
  • http://www.strategieslogistique.com/A-lire-Le-modele-Tesla,8352
  • https://www.bfmtv.com/economie/tesla-nouveau-modele-des-grands-patrons-de-l-automobile_AN-202012060081.html
  • Michaël Valentin, Le Modèle Tesla, Du Toyotisme au Teslisme : la disruption d’Elon Musk, Dunod, 2018
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