Quand Donna Ferrato photographiait les violences conjugales

Quand Donna Ferrato photographiait les violences conjugales

Appareil photo toujours en mains, la photojournaliste Donna Ferrato a marqué l’histoire de la photographie en mettant en lumière les femmes et les violences qu’elles peuvent subir… 

Après Louise Michel, Nellie Bly ou encore Julie-Victoire Daubié, Cultea vous parle d’une autre figure féminine forte : Donna Ferrato. Lorsque cette photojournaliste se voit confier ce projet en 1982, elle n’imagine pas que sa carrière va prendre un tournant. Elle est embauchée par le magazine Playboy japonais pour suivre un jeune couple échangiste, afin de documenter leur vie. Mais tout ne va pas se passer comme prévu…

Photographier la violence

Pour être au plus proche de Garth et Lisa (des pseudonymes), Donna Ferrato s’immisce dans le quotidien du couple. Elle assiste à leurs soirées et tout se passe naturellement. La photographe peut exercer son travail sans contraintes. Mais un soir, la situation dégénère. Alors qu’elle se trouve dans une chambre de la propriété du couple, elle entend Lisa crier. Les cris proviennent de la salle de bain où le couple se dispute. Loin d’être une banale dispute, la situation tourne en scène de violence. Garth lève la main sur Lisa.

Donna Ferrato, 1982 - Cultea
Donna Ferrato, 1982

Comme un réflexe, Donna Ferrato court chercher son appareil. Elle commence à prendre des clichés du couple en pleine scène de violence conjugale. Pour elle, prendre des photos était un moyen d’avoir des preuves mais aussi, du moins elle le pensait sur le moment, de convaincre Garth d’arrêter. Le fait de figer sur le papier sa violence le fera peut-être arrêter.

Sauf qu’il n’en est rien… Garth continue à battre sa femme sans prêter attention à la photographe. Ayant voulu intervenir, Donna Ferrato s’est vue rétorquer par Garth qu’il avait le droit de frapper sa femme parce-qu’elle était justement sa femme et qu’elle lui avait menti. Une scène d’une violence inouïe, photographiée pour la première fois.

La photo est stupéfiante de violence. Elle est prise dans le mouvement d’un coup qui la rend floue, avec une victime dont la posture laisse percevoir la peur. Dans cette salle de bain remplie de miroirs, chaque élément est visible.

Que faire de ces photos ?

Mais une fois ces clichés dans l’appareil, qu’en faire ? Après le choc de cette expérience, Donna Ferrato les laisse de côté un temps, sans trop savoir comment les exploiter. Mais le sujet est trop fort et les enjeux trop importants. Les images qu’elle possède sont inédites, jamais quelqu’un n’a eu de preuves photographiques d’un tel acte.

En choisissant de les diffuser, elle décide de faire sortir de l’intimité et de la loi du silence les violences subies par les femmes dans leurs foyers. Rendre cet acte public, c’est aussi interpeller la justice et la mettre face à ses responsabilités. Mais lorsqu’elle décide de dévoiler ses clichés, elle se heurte aux refus des magazines. On lui rétorque que ses photos sont une bombe, mais personne n’a l’audace de les publier.

Donna Ferrato, après s'être vue refuser ses photos par la presse, fait la couverture du Time pour dénoncer les violences conjugales
Donna Ferrato, après s’être vue refuser ses photos par la presse, fait la couverture du Time pour dénoncer les violences conjugales

Puisque personne ne veut de son travail, elle les publiera elle-même afin d’éveiller les consciences. Elle monte un projet intitulé Living with the Enemy (vivre avec l’ennemi) où elle documente les violences que peuvent subir les femmes. En 1991, elle en fait un livre publié par Eperture. Parmi les photos se trouve celle de Lisa et Garth, prise 10 ans avant. Au-delà du fait de rendre visibles ces femmes et de lutter contre les violences qu’elles ont subies, c’est aussi un moyen de leur montrer qu’elles ne sont pas seules. Une fois le projet diffusé, les médias commencent enfin à s’y intéresser et publient ces photos. Le Time publiera l’une d’elles en « Une » le 4 juillet 1994.

L’engagement contre les violences conjugales

L’objectif principal de Donna Ferrato était (et est toujours) de dénoncer les violences que subissent les femmes. Quasiment toujours produites en intérieur, les violences conjugales sont mises sur le devant de la scène afin qu’elles deviennent un sujet de société dont il faut parler pour faire avancer la cause. Les photographies sont aussi des preuves irréfutables, capables de faire changer les lois.

Diana in the hospital, 1988, Donna Ferrato
Diana in the hospital, 1988, Donna Ferrato

La photojournaliste devient ainsi une militante pour les droits des femmes. Joe Biden, lors d’une rencontre, lui confira que son livre avait contribué à la création du Violence Against Women Act (loi sur les violences contre les femmes), adoptée en 1994 par le Congrès américain.

Donna Ferrato apparait souvent sur ses photos comme un gage de transparence sur sa personne. Elle revendique un female gaze (regard féminin) qui a son importance. Pour elle, apparaître sur ses photos est une manière de montrer qu’il s’agit bien d’une femme derrière l’objectif.

Toujours dans cette continuité de donner à voir la force des femmes, elle a plus récemment mené un projet nommé i am unbeatable, où photographies et témoignages de femmes se mêlent. 

 

Sources : 

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