Et l’eau ne cesse de monter… La crue de 1910 qui marqua l’Histoire

Maurane Charles
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Région parisienne, janvier 1910. Il neige, il pleut, il grêle. Un peu partout en France, les cours d’eau débordent, l’Yonne, Loing, le Grand Morin sortent de leur lit. La jolie Seine s’agite avec fureur dans la Ville Lumière, la crue mordant peu à peu les rues puis les bâtiments… 

Paris : capitale de la modernité

Au début du XXe siècle, Paris se porte bien. L’Exposition universelle de 1900 a révélé au monde l’importance de la ville : Paris symbole de modernité. En pleine modernisation, elle engage un immense chantier. Elle développe peu à peu son réseau d’électricité favorisant ainsi l’installation du métro et un meilleur équipement dans les maisons. Les rues de Haussmann se voient de plus en plus empruntées par de nouveaux véhicules à moteur. Le réseau d’égout fait de Paris une ville propre. On organise des visites pour les contempler un peu comme des attractions. La Seine quant à elle fait de Paris un des plus grands ports de France de l’époque, favorisant le commerce, cumulant autant de trafic que Marseille et Le Havre réunis.

14 photos incroyables de la grande crue centennale de la Seine à Paris en 1910... Quand la capitale était littéralement inondée !

Les quelques trois millions d’habitants intra-muros vivent une vie mouvementée, se sentant protégés par la modernité de leur ville.

La crue de 1910 : une catastrophe inconcevable

Les Parisiens se sentent donc en sécurité dans la ville aux lumières, sans se douter un instant que ces dernières vont s’éteindre brusquement en janvier 1910.

Effectivement, les habitants ont déjà été confrontés aux éléments, notamment durant la crue de 1876. Mais depuis, le créateur du service hydraulique, l’ingénieur E. Belgrand, a engagé des travaux sur les 28 km de quais de Seine. Prenant pour référence le niveau de la dernière crue, soit un peu plus de 7m, il rehausse les quais, installe des parapets.

Cependant, au début de l’année 1910, le quotidien des Parisiens est bouleversé. Il pleut quasiment sans arrêt durant les mois de novembre et décembre 1909. Puis le froid et les gelées figent la terre en début d’année, avant que le ciel ne déverse à nouveau sa fureur. Les cours d’eau montent et l’excès sature les sols. Les fleuves débordent un peu partout en France, certains villages sont sous les eaux. Pourtant cela n’inquiète pas Paris. Leur ville à la pointe de la technologie, les Parisiens ne conçoivent pas qu’une crue puisse les atteindre. Alors que la banlieue et ses 900 000 habitants sont déjà inondés et que la ville se trouve entourée de zones inondables, Paris ne réagit pas. À l’époque on n’arrive pas encore à comprendre et anticiper les perturbations.

L’eau monte à Paris

Si le Zouave du pont de l’Alma sur lequel les Parisiens ont l’habitude de mesurer la hauteur des crues de la Seine, a les pieds dans l’eau, les Parisiens ne s’inquiètent pas. Néanmoins les bateaux sont déjà interdits de circuler car l’eau est trop haute et ces derniers ne passent plus sous les ponts. Trois cents péniches se retrouvent coincées dans Paris et les bateaux-mouches sont à l’arrêt.

Les premières zones touchées par la crue sont les quarante hectares de stockage de vin de Bercy. Des ouvriers tentent de sauver des tonneaux en vain. Mais le plus grave est que dans cette partie de Paris, se concentrent les usines de gaz et d’électricité. Bientôt, la Ville Lumière retourne dans le passé et ressort bougies et lampes à pétrole pour y voir quelque chose.

Les crues de la Seine sont lentes. Les habitants voient l’eau monter progressivement, soit 50cm par jour. De plus la crue de la Seine fonctionne avec une double inondation. Le fleuve déborde certes, mais il y a aussi la nappe phréatique qui monte et inonde les sous-sols. C’est un vrai désastre. Les eaux de plus en plus polluées à cause des égouts qui refluent, sapent les caves et les fondations… En effet, des dizaines de milliers de fosses d’aisance dans les sous-sols qui ne sont pas raccordés aux collecteurs municipaux sont inondées. Les bateaux-citernes, qui doivent évacuer les résidus hors de Paris, ne peuvent plus passer sous les ponts. La pollution devient préoccupante, des cas de typhoïde et de scarlatine apparaissent dans la population.

Couverte pour la première fois par les journaux, notamment le très populaire Petit Parisien, la catastrophe s’empire. Des premières photographies dans la presse montrent les rues inondées, et font le bilan quotidien de la progression des eaux. Bientôt on observe six à huit photos par jour dans les journaux !

Le Petit Parisien : journal quotidien du soir | 1910-01-24 | Gallica
Crue de 1910 – Le Petit Parisien : journal quotidien du soir | 1910-01-24 | Gallica

Un retour dans le passé et de nombreux dégâts

Alors que la crue n’a pas encore atteint son niveau maximal, l’usine d’air comprimé est atteinte, les horloges de la ville se figent. C’est le temps qui s’arrête. La circulation tente de se maintenir avec les chevaux et on mobilise cent mille « pioupious », des jeunes militaires, pour quadriller la ville et aider les habitants. Le 23 janvier, on atteint un niveau de 6,35 mètres de hauteur. Le flot s’engouffre dans les gares de Saint Lazare et d’Orsay, donnant lieu à d’incroyables clichés mais rompant le lien entre Paris et l’extérieur. Seule la gare de Lyon, surélevée, fonctionne encore. On peut observer une procession de barques-taxis qui y amènent des voyageurs.

La crue exceptionnelle de la Seine en 1910 | RetroNews - Le site de presse de la BnF
La crue de 1910 | RetroNews – Le site de presse de la BnF

Mais le flot monte toujours, et le 28 janvier 1910 la Seine a atteint son niveau maximal, 8,62 mètres sur l’échelle hydrométrique du pont d’Austerlitz !

Avec ses nombreux chantiers, Paris est un véritable gruyère. Pour construire les six lignes de métro, on compte 60 km de galeries et 20km en cours de réalisation. Des lacs souterrains se forment, paralysant la ville et la progression des travaux. Bientôt la vie quotidienne devient très dure. Il n’y a pas de chauffage en plein hiver, plus de travail non plus et il faut faire des réserves de nourriture. Les boulangers qui travaillent éloignés de l’inondation autant qu’ils peuvent, livrent le pain en barque. On assiste parfois à certains épisodes de lynchage à cause de vols…

La crue de la Seine à Paris (1910) en cartes postales — Le chronoscaphe
La crue de la Seine à Paris (1910) en cartes postales — Le chronoscaphe

La montée des eaux s’est faite en une dizaine de jours, et la décrue en trente-cinq environ. Il faut attendre mi-mars pour que la crue se résorbe totalement. À Paris, 20 000 immeubles, 22 000 caves et la moitié du réseau du métro sont inondés. En tout, on estime que les dégâts s’élèvent à 400 millions de franc-or, soit environ 1,6 milliards d’euros ! Des aides sont distribuées mais la catastrophe a stoppé l’avancée fulgurante de Paris vers la modernité.

Pas aussi meurtrière que la plus grande crue de la Seine de 1658, la crue de 1910 a tout de même marqué l’histoire du XXe siècle et est la première catastrophe naturelle documentée.

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Étudiante chercheuse en Histoire Contemporaine - Passionnée de littérature, de musique, de cinéma.
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