Albert Londres : son empreinte en trois publications majeures

Anaïs Girard
Anaïs Girard
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Albert Londres a profondément imprégné l’âme des grands reportages. Alors que le 16 mai marque le 90ème anniversaire de sa disparition, ses témoignages continuent d’inspirer l’univers de la presse. Retour sur trois publications qui ont animé sa carrière.

Dans la pénombre, bien caché, un petit halo de vérité révèle les visages et les circonstances anonymes, à condition de regarder au bon endroit. Armé d’une vision aussi affûtée que sa plume, Albert Londres fait partie de ceux à qui on ne raconte pas d’histoires : c’est lui qui nous les livre. À travers ses écrits et ses reportages, il a croqué le portrait d’un monde souvent meurtri, arpentant les zones d’ombre pour en faire ressurgir leurs réalités.  

Au bagne (1923)

« Il faut dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu’un – de notre connaissance parfois – est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. Le bagne n’est plus à Cayenne, mais à Saint-Laurent-du-Maroni d’abord et aux îles du Salut ensuite. Je demande, en passant, que l’on débaptise ces îles. Ce n’est pas le salut, là-bas, mais le châtiment. » 

En 1854, une loi de Transportation ouvrait les portes aux bagnes en dehors de la France métropolitaine. À cette époque, en Guyane, un vaste ensemble de camps de travaux forcés s’était alors mis en place, à l’image des bagnes de Cayenne et des îles du Salut. Tristes détenteurs d’un fort taux de mortalité – la seule année 1856 tient le record de 63 % -, les bagnes ont détenu près de 75 000 forçats, dont l’écrivain Henri Charrière, et le plus célèbre : Alfred Dreyfus.  

« En voguant vers la Guyane », Le Petit parisien, 8 août 1923 - Cultea
« En voguant vers la Guyane », Le Petit parisien, 8 août 1923. © Le Petit parisien

À l’été 1923, pendant un mois, le journal Le Petit Parisien relate les enquêtes que mène Albert Londres sur le terrain. Le premier reportage est ainsi publié le 8 août. Choses vues, choses vécues : sans complaisance et sans détour, le journaliste s’attèle à mettre au jour les conditions affligeantes auxquelles les bagnards sont confrontés. Avec son observation pour principal outil, il expose les latitudes d’un système violent, avec pour objectif de refuser le silence et de condamner l’oubli. 

Au Japon (1922)

« Tokyo est née de l’union d’un typhon et d’un tremblement de terre. On pourra me démentir, je le soutiendrai jusqu’à la mort. Elle n’est ni occidentale, ni orientale, ni moderne, ni ancienne, ni humaine, ni barbare ; elle est inexistante et formidable. »

Peut-être moins connue, cette aventure journalistique d’Albert Londres l’emmène, pour un voyage de six mois, en Chine, en Indochine puis en Inde, avec le Japon pour première étape. Représentant les pages de l’Excelsior, un ancien quotidien français, il rédige une série d’articles enthousiastes et enivrés sur une parcelle du monde dont il ne connaît rien. Face aux mille facettes de Tokyo, l’inconnu se dresse, et son œil devient alors celui de son lecteur.

Une grande avenue de la ville de Tokyo dans les années 1920 - Cultea
Une grande avenue de la ville de Tokyo dans les années 1920. © Wikimedia Commons

Mais Tokyo est insaisissable. Il ne parvient pas à la lire et il ne parvient pas à la dire. Mais à bord d’un taxi, Albert Londres ne se décourage pas. « Avez-vous de bons pneus ? Êtes-vous célibataire ? C’est-à-dire un homme pouvant courir les aventures ? Oui. Alors emmenez-moi au bout de Tokyo ! Non ! Non ! Pas aux temples, ni aux jardins, ni au palais. Je ne veux voir que le bout de Tokyo. Roulez ! » Et au bout de Tokyo, Albert Londres nous livre une délicieuse leçon : savoir apprécier la route sans même connaître la destination.      

Terre d’ébène (1928)

« Ce sont les nègres des nègres. Les maîtres n’ont plus le droit de les vendre. Ils les échangent. Surtout ils leur font faire des fils. L’esclave ne s’achète plus, il se reproduit. C’est la couveuse à domicile. »

En octobre et novembre 1928, Albert Londres rédige une chronique pour les colonnes de Le Petit parisien, intitulée Quatre mois parmi nos Noirs d’Afrique. Plus connue sous le nom de Terre d’ébène, cette immersion au cœur de l’Afrique noire étudie et dénonce la politique coloniale menée par la France. Tout est passé au crible, fond et forme, à commencer par les actes de maltraitance portés sur les populations locales. 

Campement de travailleurs sur le chantier du chemin de fer Congo-Océan - Cultea
Campement de travailleurs sur le chantier du chemin de fer Congo-Océan (CFCO) en 1924. © Bibliothèque Nationale de France

« Des noirs des deux sexes travaillaient sur la route. Pliés en deux comme s’ils attendaient le partenaire pour jouer à saute-mouton, ils la tapaient avec une latte. » Virulent, jugé scandaleux, le récit d’Albert Londres fait polémique et rend furieuses les autorités coloniales de l’époque. Ici, pour que les mots parviennent à traverser les esprits, il faut en payer cher les leçons. Plus encore, à la fin du livre, le journaliste fait le choix de s’adresser ouvertement et fermement à l’ancien ministre des Colonies.      

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Plume en main, Albert Londres éclaire les visages d’un monde multiple aux expressions si particulières, nous rappelant qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilités.

 

Sources complémentaires :

  • Au bagne, Albert Londres
  • Au Japon, Albert Londres
  • Terre d’ébène, Albert Londres
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